Mago la poisse

Dans les temps anciens, un grand royaume jadis glorieux sombrait dans la mélancolie. Son souverain, homme habile et cordial mais sans beaucoup d'imagination, avait depuis longtemps renoncé à croire en son destin et gérait les affaires du royaume en vieil oncle de province. Lassé de dix ans d'un règne léthargique, le peuple se prit à désirer un autre roi.

Un dauphin, Charles "Quint" de Magolus, attirait tous les regards. Il devait son surnom de Quint à ce qu'il ne mesurait que cinq pieds de haut, mais se voyait un destin d'empereur. Son parler, tantôt patelin, tantôt cassant, plaisait aux sujets, et il n'y avait de journée qu'il ne passait à leur dire combien il les aimait. Ses impétueuses colères, son doigt brandissant la foudre, savaient aussi par moments leur rappeler que bien qu'il fût leur frère à tous, il savait aussi être un père sévère mais juste. Enfin, ses incessants voyages illustraient son ardeur à choyer tous les coeurs en même temps.

Tout cela était fort aimable aux yeux du peuple qui s'assembla et dit : nous le voulons comme roi.

Aux premiers jours, les sujets le trouvaient fort à leur guise, tant il les flattait dans leurs désirs et leurs craintes. Chacun voyait luire en lui son astre et tous attendaient soulagés la fin de leur maux. Quelques esprits grognons remarquèrent qu'en son début de règne le pays fut éliminé de la Joute des Nations qu'elle accueillait sur son sol, mais ces sinistres coassements furent vite couverts par le gai babillage de la liesse générale. Le nouveau souverain était partout, nulle fenêtre où n'apparaissait à un moment de la journée son visage énergique et résolu. Fi des chambellans, conseillers et hauts secrétaires, foin de la pompe et des orgues, il régnait sur chaque sujet comme un frère dont il pouvait à tout instant lui ou sa police pousser la porte. Le peuple l'aimait et le craignait, et son nom fleurissait sur toutes les lèvres.

Hélas, de sombres évènements vinrent ternir les premiers mois de son règne. La reine que ses sujets avaient tant bien que mal appris à aimer se déprit de son royal époux et convola avec un mécréant, affublant le souverain d'une embarassante paire de cornes. Pour se consoler, il s'enticha d'une courtisane qui avant le sien avait connu le lit de maints rois, princes et royaumes et à la stupeur générale, entreprit d'en faire la nouvelle reine. Une nouvelle fois, le pays perdit un important tournoi. Les oranges et le miel promis tardaient à venir, le royaume croulait sous les dettes et le peuple commença de s'inquiéter.

Rapidement on dut se rendre à l'évidence : en dépit de sa royale agitation, rien n'avançait; bien au contraire partout où il allait s'éveillaient désordre et confusion. Tout ce que touchait le bouillant souverain se changeait en crotte. Peu à peu, de bouche en oreille, de murmure en ricanement, la rumeur s'étendit jusqu'aux confins du royaume : le roi était guignard. Le peuple se prit à l'appeler Mago la Poisse et de là les choses s'emballèrent. Plus aucun des courtisans qui embarrassaient sa suite ne voulait maintenant de trop près l'approcher tant était funeste la robe de disgrâce dont il était drapé.

Très vite le peuple apprit à ses dépens que le simple fait de prononcer son nom éveillait les dieux de l'infortune. On racontait l'histoire de ce ministre qui s'était cassé la jambe en courant l'accueillir, de cet autre dont la maison avait pris feu. Tous louchaient avec effroi, qui sur sa femme, qui sur son commerce, dans la crainte que la déveine ne l'éprouve à son tour. La méchante guigne associée à sa personne devint telle que la simple mention de son existence s'accompagnait de chuchotements et de signes de croix. Ceux-là mêmes qui hier le portaient aux nues le vouaient maintenant aux gémonies dans un honteux silence.

Le souverain, courroucé, se plaisait à croire qu'il n'y était pour rien. Il avait combattu tant de rivaux, déjoué tant de pièges qu'il ne pouvait penser que son pire ennemi fût enfoui en lui-même. Mais jour après jour le cercle de ses malheurs s'étendait, au point qu'on eût été bien en peine de le mesurer. Le roi comprit alors que s'il voulait régner il faudrait qu'il se retire à la vue de tous et qu'inaccessible il gouverne en ombre ce royaume qu'il avait tant désiré.

Puis il eut une idée. A un grognon voisin, il chercha des noises, puis lui déclara la guerre. Et tout rentra dans l'ordre.

lun 3 mar 2008

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Laurent de Wilde

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